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Photo du rédacteurLH de la Rochefoucault

Les "Bons baisers du Jura" de Louis-Henri de la Rochefoucauld



Philipe Lemaire a entraîné Louis-Henri de la Rochefoucauld, avant qu'il ne soit célébré "Prix des Deux Magots", boire des vins d'Arbois à "From Jura with Love", le nouveau bistrot à vins du 18ème arrondissement, et découvrir des cuvées épatantes des domaines Tissot et Overnoy, histoire de remonter le temps...


 

Louis-Henri de la Rochefoucauld


Sa dernière parution : Châteaux de Sable (Robert Laffont)

Prix des Deux Magots 2022


Copyright : Astrid di Crollalanza


 


On aurait pu retrouver Louis-Henri de La Rochefoucauld dans un bar de la Bastille, comme celui où le héros de son roman "La Révolution française" ( 2013 ) se fait méchamment larguer par la Marianne qu’il rêvait d’épouser. Mais le choix du quartier aurait été un peu cruel pour lui qui qualifie sa famille d’ « amicale de descendants de guillotinés ». Alors un bar clandestin peut-être, formule qui prospère depuis le confinement, tel ce bouge où le personnage principal de "Châteaux de sable" (Robert Laffont / 2021), son double de fiction, s’attable avec un Louis XVI venu boire incognito ? Mais ce plan pas très légal aurait sans doute privé Onzième Sens d’une nouvelle adresse à recommander à ses lecteurs. On a opté finalement pour une enseigne permettant de ramener ce prolifique journaliste-écrivain de 36 ans à son histoire familiale en goûtant des vins qui y sont liés.


"From Jura with Love" ne serait qu’un autre bar à vins sympathique, comme il s’en ouvre des dizaines dans la capitale, s’il ne proposait en effet des arbois rouge et blanc, un vin jaune et un vin de paille, et d’autres encore... Effet Madeleine de Proust instantané sur notre invité. « Ma famille est liée à la Franche-Comté grâce au château de Granges-Maillot, propriété de ma grand-mère paternelle, où nous passions tous nos étés quand j’étais enfant. Et pour moi, le vin d’Arbois, c’est un seul vin, rouge, léger et estival, celui que l’on buvait à la table de nos vacances. Une boisson que l’on consommait durant trois semaines, midi et soir. » Un rouge fin et délicat, donc, et non un des blancs secs – très bons aussi - que l’on associe souvent à cette minuscule appellation nichée entre la Bourgogne et la Suisse.



La carte du bar leur fait honneur. On part sur deux pépites du domaine Jacques Tissot, un Poulsard pour lui, un Trousseau pour moi. Comme pour saluer l’auteur de "La Prophétie de John Lennon" (2020), par ailleurs critique musical à Technikart, la sono susurre à ce moment un classique de la pop anglaise, « Don’t bring me down », d’Electric Light Orchestra. Familier des grands écarts culturels, Louis-Henri a la tête un siècle plus tôt : « Pasteur, qui est né à Dôle et avait une maison à Arbois, disait que le vin d’Arbois est la boisson la plus saine, devise qui est vraie jusqu’à un certain nombre de verres ». Venant d’un descendant de l’auteur des "Maximes" (François de La Rochefoucauld, 1613-1680), une telle expertise en « punchlines » semble couler de source. On s’amuse avec lui d’un slogan du cru : « Le vin d’Arbois, plus on en boit, plus on va droit ». On pensera à vérifier un peu plus tard, au moment de ressortir.



Habitué à mener les entretiens (il pige aussi pour les magazines Lire, GQ et Schnock), il a préparé le nôtre, listé des pistes à explorer, tracé un fil à remonter. Il parle dans un sourire amusé, avec le même détachement et le même sens de l’autodérision qu’à l’écrit, où on l’a vu se définir en « comte hors sol » et moquer sa propre sagesse vestimentaire. Les arômes du Poulsard lui font remonter des souvenirs gastronomiques de croute aux morilles, de saucisse de Morteau, de morbier, comté, mont d’or, cancoillotte… « C’est du lourd, la boboïsation des assiettes n’a pas encore atteint la Franche-Comté profonde. » Sa grand-mère y possédait des fermes dont le lait alimentait les fromageries locales. Un jour, au détour d’une pige pour la com’ d’une table parisienne étoilée, le menu lui a révélé que le comté de son enfance régalait les touristes chinois ou moyen-orientaux à 30 euros la portion. Un autre sens des valeurs…


La conversation s’attarde en Arbois, où Louis-Henri de La Rochefoucauld retourne chaque été maintenant qu’il est père de famille, alors que la sono nous passe "My Generation" des Who. Il évoque le château familial (« Inchauffable l’hiver »), à Granges-Maillot, cette commune qui fut administrée par son grand-père Jean (« La mairie était dans une dépendance, ma grand-mère était son adjointe ») puis par son père Philippe, avant d’être absorbée par d’autres. Tant de souvenirs et de liens ne peuvent s’effacer, c’est comme pour la Champagne. « Notre famille a été liée à Veuve Clicquot jusqu’à mon grand-père, qui en dirigeait les relations publiques et a connu quelques moments fous en faisant visiter les caves aux Monty Python, à Michel Galabru ou à Alice Sapritch. Avant lui, son arrière-grand-père, Edouard Werlé, embauché très jeune par Madame Clicquot-Ponsardin, avait fait exploser la marque quand il l’a reprise. J’ai d’ailleurs appelé mon fils Edouard en souvenir de lui. »


Cave de Veuve Clicquot


On note de chercher un bar à champagnes pour une prochaine rencontre. Et l’on découvre les effets dévastateurs sur cette famille séculaire du rachat par LVMH, en 1987, de ce qui fut la boisson préférée de Marcel Proust. « Pour mon grand-père, cette marque était sacrée, unique, elle a longtemps été la seule autorisée dans la famille. Mes parents se sont mariés à la cathédrale de Reims et la réception a eu lieu chez Veuve Clicquot. Mais depuis le rachat, nous sommes divisés : je fais partie de ceux qui lui sont fidèles alors que, pour d’autres, c’est la boisson du Diable, ce n’est plus que du marketing. » Avec de l’à-propos, la sono nous glisse « It’s only rock’n roll », des Stones. Veuve Clicquot ou autre, LHLR nous confie, lui, qu’il ne s’y connaît pas plus que ça en champagnes. « J’adore aussi le Ruinart et le Drapier, le préféré de De Gaulle, que m’a fait découvrir lors d’une interview Nicolas Godin, l’un des deux musiciens du groupe Air… »


Quel qu’il soit, le vin est pour lui social, convivial, festif. Associé au plaisir des rencontres, des échanges, des soirées, même si la paternité d’une fille de 5 ans et d’un fils de 18 mois l’a ramené à la raison. « Il y a quelques années, je savais que je pouvais débarquer les soirs de week-end aux Causeurs (quartier de l’Opéra. NDLR) ou au Mansart (Pigalle), j’y trouverais la même bande d’amis prêts pour la nuit. A 25 ou 26 ans, je tenais au moins une grosse gueule de bois par semaine. Je me souviens avoir quitté la fête de fiançailles d’un ami vers 4 heures du matin et m’être réveillé vers 11h allongé dans son escalier. C’est fini, tout ça. On ne peut pas donner un biberon à 6h ou 7h du matin quand on a soi-même envie de vomir. »


Restent quelques occasions professionnelles de boire bien et bon. Invité l’an dernier au salon Livre en Vignes, près de Nuits-Saint-Georges, il garde un souvenir amusé du chapitre de la confrérie du Tastevin organisé au château du clos de Vougeot. « Un repas traditionnel qui dure des heures, dans un endroit magnifique, avec des plats riches et copieux, arrosés de six ou sept vins. J’en ai sauté un ou deux afin de me préserver pour la fin, mais d’autres invités étaient complètement bourrés. Pour un écrivain, c’est un événement à vivre. J’ai eu l’impression d’être téléporté dans les années 1960, avec ces bans bourguignons toutes les 20 minutes que mon père trouvait drôle mais qui ont horrifié certains auteurs…»


Château du Clos de Vougeot


Ces parenthèses se font rares, le milieu littéraire s’est assagi, la société française s’éclate avec modération et le quotidien de LHLR en épouse la retenue. Ses journées sont rythmées par l’écriture et la vie familiale, il ne s’en plaint pas. « Le confinement, en un sens, m’a pas mal arrangé car il m’a permis de m’imposer une ascèse, d’être discipliné. Même pour écrire une page drôle, il faut l’être. » A ce moment de la soirée, on est passé aux choses sérieuses. Dans l’air flotte la puissance du "Born to run" de Bruce Springsteen. Et dans nos verres celles d’un savagnin domaine Overnoy, dont les reflets ambrés vivent leurs derniers instants, aidés d’un comté 24 mois d’affinage et de cerneaux de noix. En « s’envoyant quelques coups dans le cornet » (cf "Châteaux de sable", page 31), on n’a pas vu l’heure tourner. Il est temps de laisser les 25-35 ans s’approprier la nuit, Louis-Henri de La Rochefoucauld regagne son foyer proche du Trocadéro. Et il va droit, merci le vin d’Arbois.


Philippe Lemaire



Vignoble d'Arbois





Ils sont fans de James Bond comme l’indiquent le nom de leur bar et l’affiche du film "From Russia with Love" derrière le comptoir. Ils aiment le rock des 70’s, bande-son de leurs soirées. Et ils croient aux bons produits artisanaux , comme ceux qu’ils ont réunis sur leur carte. Olivier et Kevin, amis d’enfance dont les familles se retrouvaient en vacances, ont mis tout cela en commun au moment de se reconvertir. Le premier, originaire du Jura, faux air d’Orelsan, avait fait le tour de son poste de commercial dans une régie publicitaire. Le second, natif du Pas-de-Calais, allure de boxeur poids léger, ne se voyait pas monteur audiovisuel à vie. « On voulait créer un bar où on aimerait être client, proposer de bons vins, de bonnes bières artisanales, de bonnes planches. Le terroir jurassien regroupe tout cela. Il offre des vins exceptionnels, artisanaux, qui se démarquent. Il n’est pas apprécié à sa juste valeur».


Les deux trentenaires ont eu un coup de cœur pour ce local à taille humaine, offrant une large vitrine sur la rue et la place pour quelques tables en terrasse. « On a travaillé notre business plan pendant le Covid et on a ouvert fin octobre 2021. On a eu un moral en dents de scie, les banquiers ne nous ont pas toujours aidé... On ne l’aurait pas fait seul. Mais on y croyait, ce n’est pas un coup de tête ni un délire de bobo. » Leur clientèle de trentenaires, souvent du quartier, vient s’initier en douceur à ces rouges d’Arbois qui ménagent le palais et le portefeuille. Dans une atmosphère où flottent de bonnes ondes.

“ From Jura with Love ”, 5 rue Eugène Sue, Paris 18e, de 17h à 2h du lundi au vendredi (16h-2h samedi), fermé dimanche. Tél 09 52 47 25 34


(Remerciements à Olivier et Kevin pour la qualité des photographies de "From Jura with Love" qui éclairent cette publication)



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