Le vigneron Frédéric Desplats chérit ses vignes à Faugères en lisant Clara Dupont-Monod, en écoutant Étienne Klein, et en surveillant la lune
Vincent Crouzet
Sa dernière parution :
Vesper (Editions Robert Laffont)
Frédéric Desplats, sur les schistes noirs, par Vincent Crouzet
On est toujours rattrapé par ses racines. Qu'on le veuille ou non. Mais on le veut bien, on le réclame. La mémoire n'est en rien figée. Il convient, toujours, de la nourrir. Le souvenir ne vaut que si "augmenté" de retours réguliers, pérennes, amoureux. Mes racines sont fermement ancrées dans le Languedoc, à Béziers, plutôt dans la plaine qui s'adonne à la Méditerranée, et petit, mon escapade préférée me conduisait sur l'esplanade de Saint-Nazaire, s'ouvrant sur le Sud, et la mer, mais encore sur les premiers flancs du Haut Languedoc. Partout de la vigne. De la vigne alors à l'époque plantée pour produire du vin de table, celui du quotidien, celui des ouvriers, des journaliers, des trouffions, celui que l'on coupait avec de l'eau, celui avec lequel on faisait chabrot. Celui que cultivait ma grand-mère, Juliette, dans ses "campagnes", c'est ainsi que l'on dénomme les domaines dans le Biterrois. J'ai le souvenir des odeurs fortes, installées, dans le caveau de Bailleron, la "campagne" la plus proche de Béziers, désormais bien entendu une terre occupée par une zone commerciale. Le vin, cette tradition familiale, puisque l'un de mes aïeuls fabriquait de grands foudres de chêne, foudres destinés à des caves prestigeuses, comme celle du vignoble de Saint-Honorat de l'abbaye de Lérins, où les frères bénédictins produisent de grands vins bios, dans la lumière et la prière.
Moines bénédictins de l'abbaye de Lérins
Les années ont passé. Le vin en France, et en Biterre a changé, d'orgueil et d'obligation. Le marché du vin de table n'est plus dominant. Désormais la qualité prévaut. On ne boit plus comme hier. On boit moins et mieux. De nouveau cépages ont conquis le vignoble-océan du Languedoc. Béziers est aussi adossé à des collines, sentinelles de montagnes de granit plus escarpées. Ces escarpements accueillent de remarquables appellations. Muscat de Saint-Jean de Minervois, clairette du Languedoc, saint-chinian et faugères, ces deux dernières s'épanouissant entre le relief doux et la plaine. Quittons donc Béziers pour monter à Faugères, puisque c'est ici - il n'y a finalement jamais de hasard - que sont nés l'idée et l'esprit de Onzième Sens, à la faveur d'un week-end entre amis à l'occasion de la Toussaint 2020, lorsque Valentine Champetier et Matthieu Prier nous ont convié à retrouver leur pote Frédéric Desplats sur ses nouvelles terres. Au programme, dégustation de vin - rando dans le Caroux escarpé - dégustation de vin - ballade et déserbage dans les vignes - dégustation de vin. On aime bien l'automne pour ça. L'âtre qui réclame du chêne qui claque, les parterres de feuilles épuisées de l'année écoulée, les parfums d'humus, les cèpes poêlés, les châtaignes grillées et des vins chaleureux sur le palais. Des copains, de longues soirées, et du très bon pinard, une ivresse raisonnable qui permet d'envisager de marier les écrivains et le vin dans un site dédié à la camaraderie et au plaisir.
Vincent dans le Haut Languedoc Photo ©matthieuprier.com
Mais cette alchimie, nous la devons à Frédéric Desplats. Frédo est un gars sportif aux mains noueuses, tranquilles, un passionné aux yeux bleus en apparence taiseux, pas nécessairement prédestiné au travail de la vigne. Chauffagiste à la retraite, avec un petit capital, il a choisi le défi d'une seconde vie de labeur. Cherchant un domaine à acheter, il a d'abord lorgné sur la Provence, et les côtes du Rhône, avant de prendre une direction plus à l'ouest, dénichant le domaine Florence Alquier en goûtant en 2016 les cuvées du vignoble au Mas de Saporta, à Montpellier. Coup de foudre, dans un moment où le domaine réclamait partage, Florence veuve du vigneron Frédéric Alquier, secrétaire médicale de métier, ne pouvant assumer seule la poursuite de l'activité. De la rencontre entre Florence et Frédéric est née une amitié, une cohésion au quotidien, créant un esprit qui conduit les destinées du domaine. Frédéric n'est pas arrivé seul, mais avec Denis Degros pour partenaire. Les deux hommes, passionnés de mer et de voile, ont en partage le sens manuel, et le besoin de défis. Ils quittent tout pour s'installer à Faugères, avec le soutien financier de l'investisseur breton Philippe Labouret, qui aime le vin et les hommes de caractère. Il en faut pour reprendre le vignoble de Florence, vingt hectares disséminés dans la garrigue et la plaine, et tout mettre en oeuvre pour parvenir à la pleine conversion en bio en 2020. Frédéric s'était préparé, mais il se forme sur le tas, sur ce terrain schisteux qui favorise des vins droits, et francs. Autodidacte, il devient oenologue, chimiste, paysan, tout simplement vigneron. De bonnes fées veillent sur lui. Le sourire de Florence, belle Brune d'un Languedoc aux valeurs de travail et de solidarité, la confiance de Philippe, la complémentarité de Denis, mais aussi les conseils de Sabine et Nick Thompson, du domaine l'Ameillaud à Cairanne. Frédéric se forme donc de manière empirique. Cinq ans après être entré à Faugères comme sur la pointe des pieds, désormais il accumulé du savoir, de l'expérience et des angoisses, comme ces nuits de gel dans la plaine qui ont touché cette année son carignan.
Vignoble du domaine à Faugères Photo ©matthieuprier.com
Vigneron d'aujourd'hui c'est aussi vendre son vin. Lorsque nous rappelons Frédéric pour qu'il nous donne des nouvelles de son vignoble, nous le surprenons en pleine tournée commerciale en Bretagne. Il est au volant, sur l'autoroute entre Nantes et Vannes, et pour nous répondre et nous parler avec enthousiasme de la caviste qu'il vient de visiter, Julie, de "Rouge Bouteille", il coupe le podcast qu'il écoute. Sur la route, il se nourrit d'Étienne Klein, l'amenant à se déclarer copernicien. Le renversement copernicien de Frédéric, c'est sa mue constante pour endosser cet habit de vigneron, qui ne se fait jamais d'un jour, mais d'années à galérer, à assembler, à affiner, à espérer. Parce qu'il est question de grandes espérances. Frédéric ne veut pas simplement faire du vin, il veut faire de grands vins. Il n'aime pas trop qu'on le dévoile, mais c'est un optimiste, pour ses vignes, pour ce terroir d'adoption et de coeur, et pour la nouvelle place du vin dans nos sociétés : créer du lien, partager le plaisir. Années après années l'appellation Faugères a gagné en grande qualité, sous l'impulsion de vignerons comme Léon Barral, pape du vignoble (on en reparlera bientôt ici... parce qu'on a bu un mémorable Barral avec Nicolas Mathieu), Jean-Michel Alquier le beau-frère de Florence, ou Jérôme Py (dont on raffole de la cuvée 3,14...). Frédéric accompagne ce mouvement en apportant son regard neuf, son audace, et son ambition.
Frédéric, à l'heure des vendanges Photo ©matthieuprier.com
La force du travail, le soin constant, la passion quotidienne de Frédéric et Denis accouchent désormais de sept cuvées. Deux jolis blancs pour commencer. "Le Village', marsanne-roussanne et grenache blanc dont la robe or éclaire parfaitement les teintes lumineuses du village de Faugères adossées à ce premier versant, et "Puech Mourié", cépages identiques, vignifié en barriques sur lie, mais robe plus pâle, avec l'acacia et les agrumes pour partenaires immédiats. On peut commencer par là, pour ouvrir les huîtres du bassin de Thau voisin... Chacune des cinq cuvées de rouge mérite découverte. "Renaissance" et "Puech Mourié" (rouge), assemblages syrah-mourvèdre-grenache et carignan développent toutes les nuances réglissées, Frédéric trouve du graphite même dans son "Puech Mourié" en macération carbonique. On avoue : on a un peu rempli notre cave avec ces deux cuvées au meilleur rapport qualité-prix, terme que l'on bannira définitivement dans Onzième Sens, pour celui de qualité-plaisir. Et puis l'étiquette rouge cramoisi du "Renaissance" illumine tellement la cave en hiver. On en arrive aux deux trésors du domaine : l'élégance absolue, sombre et profonde du "Rieutord", avec toujours cet assemblage syrah-mourvèdre-grenache-carignan, où l'on retrouve la fraîcheur des schistes de Faugères, tant bénie par Frédéric. Un truc qui le passionne, ces schistes, et surtout ces schistes noirs, sur lesquels ont été élevés les raisins qui ont créé la sixième cuvée, la petite nouvelle de 2021, que nous goûterons au printemps, "Black Slate". Personne au monde ne s'enthousiasmera autant que Frédéric pour les schistes qui aident la vigne à supporter le stress hydrique, le végétal conservant l'eau rare dès février. Le schiste, la grande passion de Frédéric. Il n'y en a qu'une seule autre qui le laisse sans voix : Clara Dupont-Monod, dont le nom a été prononcé autour d'une table de fin novembre, entre copains. Là, les yeux de Frédéric ne trompent plus. Il existe chez lui cette admiration secrète. Tout c'est un peu arrêté. Temps suspendu lorsque nos verres emplis de "Moulin de Guingou" 2018, la septième merveille du monde de Frédéric Desplats, sont restés en l'air. Parfois, il existe des garçons qui adorent et les schistes noirs, et Clara Dupont-Monod.
Voilà. Pour finir, on tutoie volontiers la septième cuvée, le "Moulin de Guingou". Puech Mourié, Rieutord, Moulin de Guingou... Florence, Denis, Frédéric ont accordé à leurs cuvées le nom des lieux où s'émancipent leurs vignes. Second aveu : c'est un vin de garde, mais on va craquer en fin d'année. Il reste trois bouteilles en cave, et on va les ouvrir sur une côte de boeuf. La syrah a disparu. Moins de profondeur, au profit de la puissance. Cette fois la réglisse s'abandonne au café, au meilleur du pruneau. L'ange Clara Dupont-Monod (Prix Fémina 2021) est passé. On peut déguster enfin nos verres. Mais tout à coup, Frédéric lève son index, et réfléchit un instant. Dans quel cycle lunaire sommes-nous donc en cette fin novembre ? Dernier quartier de lune. Parce que Frédéric défend une thèse : le gôut du vin varie selon les cycles lunaires. Un truc de chaman languedocien. Le dernier quartier de lune favorise une obscurité propice aux péchés capitaux, comme le "Moulin de Guingou" (pour tout dire, nous concernant, on trouve tous les cycles lunaires propices, mais sur ce coup on joue volontiers le jeu avec Frédo...). On considère, dans la résilience d'un dernier quartier de lune, l'éclat serein de cette cuvée. Nez tentation qui permet de se glisser dans le consentement de l'ombre de l'astre, pour profiter, encore, d'un plaisir délicieusement non coupable. C'est à la grâce de vignerons comme Frédéric, qui veille aux cycles lunaires, apprend d'Étienne Klein, et chérit secrètement Clara Dupont-Monod, qu'il existe Onzième Sens. Merci.
Vincent Crouzet
C'était bon de revenir dans le Biterrois, comme Matthieu, à l'occasion des vendanges 2021, et toute l'année d'ailleurs, puisque son oeil de photographe suit toutes les saisons du domaine Florence Alquier, et dont les photos illustrent cette publication. Vous faites partie de ceux qui préfèrent les parcours de délestage, et quittent volontiers les sillons autoroutiers pour des chemins de traverse : à Béziers, remontez gentiment plein nord, et en moins de quinze kilomètres alanguissez-vous sur la première terrasse de ce Languedoc surprenant : les collines de Faugères. La cave de Florence, Denis et Frédéric se situe juste à la sortie orientale du village. Vous dégusterez les vins dans le chai impeccable. Passez un coup de fil avant de notre part et Frédéric vous présentera fièrement ses deux nouvelles amphores. Alors, vous n'aurez que l'embarras du choix, celui des rois et des reines, pour repartir, comblés, le coffre bien lesté.
Domaine Florence Alquier
165, route de Pezenes les Mines 34600 Faugères
0601784329 - 0658328519
Le chai Photo ©matthieuprier.com
Et enfin, il nous semble impératif de vous présenter "Rouge Bouteille" cave et bistrot à vin, à Nantes, quartier Zola, qui a mérité du détour de Frédéric ! Pour boire un coup, déjeuner et dîner sainement, sur le pouce et dans la super bonne humeur, dans accueil joyeux de Julie, Nicolas et Antoine.
Rouge Bouteille
64, boulevard Pasteur
44000 Nantes
0981340855
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